Retour sur la marche des solidarités

La rue est à nouveau à nous !
Retour sur la participation de la Brigade de Solidarité Populaire de Montreuil-Bagnolet
 à la Marche des solidarités du 30 mai 2020
La journée de soutien à la marche des solidarités commence tôt pour notre brigade. A partir de 8h, les cantinières et cantiniers se rassemblent dans notre local, et cuisinent le ravitaillement pour les manifestants montreuillois.
12h : de nombreux coups de fil sont échangé entre brigadistes, sans papiers du foyer en lutte des ex Bara du 138 rue Stalingrad, militant.es de l'assemblée de ville : un rassemblement s'organise sur la place de la mairie et une AG débute pour décider ensemble de la suite de la journée. Les foyers Rochebrune et Branly sont aussi représentés en nombre. Le message est clair : régularisation collective des sans-papiers en lutte, logement digne pour toutes et tous, fermeture des Centres de Rétention Administrative. L'atelier masque de la brigade distribue alors comme prévu 300 kits hygiène composés de masques en tissus fabriqués cette semaine, gel hydro alcoolique et un tract d'autodéfense sanitaire. 
13h30 : le cortège démarre en direction de Paris. L'ambiance est survoltée : on applaudit, on chante, on lance des cris sur un ton joyeux et revendicatif. Environ 1000 personnes dont une majorité de sans-papiers scandent les revendications. L'accueil de la population sur le trajet est chaleureux et le cortège grossit rapidement vers la porte de Montreuil, puis la place de la Nation et le Boulevard Voltaire. La police quasiment invisible jusque là nous barre la route au métro Charonne. Triste mémoire pour nous qui n'oublions pas nos frères tombés là le 6 février 1962. Notre but est de rejoindre le cortège principal de la Marche qui a réussi à avancer malgré la répression préventive vers Republique. A Charonne les sans-papiers font preuve d'une détermination à toute épreuve face aux policiers arrivés en nombre avec casques et boucliers afin d'empêcher l'avancement du cortège. Aux gaz lacrymogènes répondent les tambours et les danses. Les charges répétées font reculer peu à peu le cortège vers la place de la Nation. On sait qu'on compte au moins un blessé et à notre connaissance aucune arrestation dans notre camp. Pendant qu'à Paris, place de la République, les milliers de manifestants présents sont évacués dans les gaz lacrymogènes, le cortège montreuillois reprends le chemin de la porte de Montreuil puis de la Mairie où une assemblée se tient à nouveau pour discuter des suites à donner à cette journée de lutte. Mais elle n'est pas terminée, et avec nos camarades de la Brigade de solidarité populaire de Fontenay et le collectif anti-CRA , nous nous retrouvons pour exprimer la solidarité populaire aux sans-papiers enfermés au Centre de Rétention Administrative (CRA) de Vincennes.
Par-delà les barbelés, cachés derrière l'abondante végétation du bois, invisibles aux nombreux promeneurs du dimanche, nous lançons nos slogans : freedom, libertà, houriya, liberté ! Une banderole réclamant la destruction des CRA est déployée à l'attention des passants pendant que nous recevons par téléphone des nouvelles de l'intérieur du bâtiment. Notre message a bien été entendu au-delà des hauts murs de cette prison pour étrangers qui ne dit pas son nom. Au bout d'une trentaine de minutes, nous sommes repoussés par la police. Nous revenons à Montreuil pour la cantine avec nos camarades sans papiers en lutte.
On se donne rendez-vous avec le Comité Adama mardi 2 juin à 19h devant le tribunal de Paris a porte de clichy contre le déni de justice raciste de l'état français et en soutien aux revoltes en cours aux États- Unis !

samedi 30 mai, première cantine de l'AERI

C'est à 8h qu'on s'est retrouvé·e·s. À 8h30. À 9h. Encore un café avant d'y aller. Tu peux éplucher les panais ? Coupe tout ce qui est trop mou, c'est pas grave. On cuisine quoi ? Purée panais-pomme de terre. Cake mangue-banane. Et le poulet ? On va le mixer, faire cuire d'abord des oignons, en faire un ragoût. À 11h c'est presque prêt. On s'est dit : à midi on charge la voiture, on va devant le 138, on mange avec les gars avant de partir en manif. On est sûr·e·s qu'ils y vont ? La manif a été interdite, les organisateurs ont maintenu. On verra. À midi 30 devant le 138 c'est départ collectif vers la mairie. On arrive trop tard. On fait quoi ? On suit avec le repas dans la voiture. On a tout, on peut même manger dehors. Devant la mairie on est plus que le nombre de repas qu'on a prévu. Tant mieux. On ramène tout à l'AERI. On part en ballade. On marche sous le soleil qui pourrait être de juillet, le ventre presque vide. On suit puis on entre dans le cortège. On chante. On danse. On se fait klaxonner mais c'est en signe de soutien. Les smartphones nous filment rue de Paris. Dans la ville ça fait un étonnement joyeux ces centaines de personnes qui marchent en souriant. Dans Paris on doit faire une pause. Le soleil a tapé trop fort, l'eau a manqué, alors un banc et les allers-retours à la boulangerie acheter des Cristalline. On croit qu'on les a perdu, que c'est fini pour aujourd'hui. Et puis non. Les flics ont bloqué tout le monde sur le boulevard Voltaire, à hauteur de Charonne. Mais personne n'a eu envie que ça s'arrête alors demi-tour. On retourne à Montreuil, par la même route (c'est les plus grands boulevards qu'il nous faut, pour s'étendre de toute notre largeur). Encore la danse et même un peu plus. On est dans Montreuil et aux fenêtres et sur les trottoirs c'est le même enthousiasme étonné. On a réveillé la ville. Car Montreuil est une ville. Pas un arrondissement de Paris. Si pas Paris pour lutter c'est pas grave du tout. À la mairie on se demande comment prévenir qu'on a fait à manger, qu'on a envie de rester ensemble, de partager un repas. On prend un mégaphone, on fait une annonce. On verra. Il est 16h30, on retourne à l'AERI. Boire une bière, de l'eau, manger un sandwich, causer. Certain·e·s ont prévu de partir devant le CRA de Vincennes, à 18h. Rejoindre des gens de Fontenay et d'ailleurs. On reste, on installe les tables dans la grande salle. On fait réchauffer le repas. On ne sait pas qui vient et quand. Les premiers invités arrivent à 18h30. Ils n'ont pas beaucoup de temps mais finalement ils s'assoient et on mange ensemble. On prend des nouvelles. Les assiettes restent là, les verres aussi. On allume les lumières, on les oriente, on veut que ça soit bien, que personne ne soit ébloui, que tout le monde y voit. D'autres invités arrivent et puis les copains et les copines revenu·e·s de devant le CRA. On est content·e·s de voir du monde arriver, de n'avoir pas cuisiné pour rien. Ça manque de sel, mais c'est bon. On boit tout en servant, on danse en buvant, on sourit en lavant les assiettes. Une cantine. La première. Pas de barquettes en alu, pas de sachets plastiques, pas de voiture qui emmène. On a cuisiné et on sert. On accueille, on discute. On se rencontre. On a marché ensemble, dansé ensemble, ensemble crié alors ensemble on reprend des forces. Et c'est joyeux

Témoignage sonore de la distribution du 1er Mai à Croix-de-Chavaux

Distribution par les Brigades le 18 Mai à Montreuil, aux métros Mairie de Montreuil et Croix de Chavaux

120 masques en tissus fabriqués par l'atelier de l'AERI et celui de la Parole Errante ont été distribués. Des masques chirurgicaux réquisitionnés par Bas Les Masques ainsi que du gel hydro-alcoolique ont aussi pu être distribués.



"Tomates devant E3, royal exo"


Je connais pas la superficie de Rungis. Je sais que c'est au sud. Que le 11 mai pour y parvenir et en partant à 7h30, il faut 11mn entre les portes de Bagnolet et d'Italie soit 2mn de plus qu'avant le 11 mai.

J'ai vu là-bas les groupes qui comme nous demandent puis récupèrent puis trient. Fruits, légumes, fromage. La viande on n'en prend pas. Notre camion ressemble aux leurs. Nos gestes aussi. Gestes rapides d'animal volant. Quand une palette est amenée, qu'on l'ait demandée ou non il faut choisir ce qu'on prend et jeter le reste, c'est-à-dire trouver une benne, l'amener, la remplir, la remettre en place. Puis signer un papier (ça ils ne le demandaient presque jamais avant) qui décrit l'origine, la nature, la quantité, l'état des produits, que ceux-ci aient été ou pas présents sur la palette. Cela s'appelle un bon d'enlèvement et permet à qui amène la palette sur laquelle sont ou pas les produits décrits d'être en partie exonéré d'impôt. Quand une palette est trop pleine et de choses mauvaises il faut rappeler quelqu'un qui a de quoi la transporter à nouveau. Et l'attendant répondre au téléphone pour dire aux autres que non, ça n'est pas nous qui l'avons demandée. Faire patienter les chauffeurs de poids lourds bloqués par elle. Trier et causer avec qui passe. Une palette n'est jamais ni très longue ni très large ou lourde. Mais chargée de cagettes elle est cause d'amende pour qui la laisse.

Dans les hangars certains font des gestes pour dire qu'il n'y a rien, que c'est la troisième "asso" qui vient, qu'il faut leur dire que 1, 2, 3 ici on ne donne rien. D'autres décrivent avec leur bras des espaces où tout est à prendre. Prêtent diable, bras, transpalette. Décrivent le contenu des cartons, orientent vers les aliments périmés depuis le moins de temps. Alors il faut prévenir les autres. Et dedans il fait moins froid. Il y a des groupes aussi plus organisés encore, les autorisés, qui donnent une partie de ce qu'on leur donne. Qui se transvasent à nous, de bras à bras, de tri en tri. Près des bennes de la rue de Toulouse. Et un monsieur seul à bicyclette qui remercie pour quelques bananes choisies et déposées dans sa main. Remercie de n'avoir eu à se baisser ou se hausser. De n'avoir eu à sentir sous ses doigts la mollesse de la pourriture, la rugosité du carton. Car les mains rapidement font mal à tant fouiller, ouvrir, porter.

On va à 3 endroits pendant 3 heures. À l'intérieur, à l'extérieur et aux bordures. Soit dedans et dehors les hangars et dedans et près les poubelles. C'est là qu'on trouve. (À Rungis l'extérieur des hangars est un marché parallèle. Strictement parallèle. Et non clandestin) Les poubelles sont l'endroit préféré : il n'y a rien à demander. Seulement savoir si vraiment on usera de tout ce qu'on trouve. Dedans les hangars c'est beaucoup de non ou quand un oui le risque du trop (de prendre trop. Il faut en laisser. Aux autres. Il y en a beaucoup. Tous cherchent) Dehors d'eux beaucoup de mauvaises choses à se débarrasser et là se battre un peu pour n'être la poubelle de personne.

Hiérarchie des ordures. État C ou D.

On va aux toilettes aussi car il y en a mais elles sont inondées

Je sais que le retour prend un peu moins de temps que l'aller et qu'à un endroit sur la route il faut faire attention.

Je sais que le 9 mai la pièce où nous nettoyons et rangeons les paquet de pâtes, de riz, les conserves, était pleine. Nous en avons ri. Je me souviens avoir dit "le casse du siècle". À midi aujourd'hui Chantal m'a dit de venir voir et c'était vide. Tout était vide. Entre 10h et midi tout s'était vidé.

C'est la faim

C'est la faim séparée de la peur

La faim faite par ceux qui sur les cagettes de plastique apposent "propriété inaliénable de. Réutilisation interdite", par ceux qui font les palettes pleines de choses arrivées du Mexique pourrir déjà.

Autonomes... jusqu'à nouvel ordre !

A l'heure où nous écrivons ces lignes cela fera bientôt un mois que nous sommes entré.e.s en période de confinement généralisé. Presque un mois d'hésitations gouvernementales, de déclarations contradictoires, d'arrestations arbitraires et de sanctions absurdes. 30 jours ou presque que les services sociaux, associations subventionnées et autres institutions ne répondent plus (dossiers d'aide départementales en suspens, demandes APL non traitées, distributions de nourriture suspendues, associations qui ferment...) et que les violences policières et institutionnelles se multiplient ! Bien sûr tout ça n'est pas nouveau pour nous et pour celles et ceux avec qui on essaie de s'organiser, mais l'épidémie de coronavirus sert désormais de prétexte supplémentaire indiscutable aux forces du désordre qui prétendent nous gouverner.

Dans de nombreux endroits en France on a vu apparaître des drones, des hélicos, des militaires, des couvre‐feux et des escouades de flics. On nous a dit que c'était la guerre mais que l'ennemi était invisible. On nous a dit que pendant cette période on pouvait casser le code du travail et qu'il faudrait bientôt soutenir les entreprises en bossant plus... On a vu des sans‐abri se prendre des amendes parce qu'ils étaient simplement présents dans l'espace public. Et des copain.e.s sans pap qui se sont fait expulser via l'Italie du Nord à cause des contrôles renforcés et en dépit du risque épidémique. En banlieue parisienne, une association bien connue qui intervient dans des campements de rroms pour distribuer des couches et autres produits d'hygiène a été verbalisée parce que les salariés avaient laissé leur attestation dans leurs locaux... Dans les arrondissements et quartiers populaires la police intervient de façon brutale et disproportionnée sous prétexte de protection de la population vis à vis du virus. Dans les faits on constate que les flics hésitent de moins en moins à insulter, manifester leur racisme, utiliser leurs armements et coller des amendes aux plus précaires pour l'exemple.

Nous avons tous conscience de vivre un moment historique sans précédent, non seulement du fait de l'apparition de ce virus mais aussi parce que l'on sait que les conséquences de ce genre de « crise » sont généralement redoutables pour une majeure partie de la population. Et lorsque l'on voit notre gouvernement loucher sur des outils de tracking tout en jurant ses grands dieux que la protection des données personnelles sera assurée, on ne peut que s'inquiéter de la création d'une attestation dérogatoire électronique fusse t'elle à usage unique.

Ça a commencé à chauffer ici et là : dans les prisons où les mutineries et les refus de réintégrer se sont multipliés, dans certaines villes où des habitant.e.s ont affronté la police à coups de mortier, feux d'artifice... Il paraît même que des boîtes de conserve font de jolis vols planés certains soirs ! On voit aussi apparaître des banderoles aux fenêtres et des panneaux griffonnés à la hâte (« flics, restez chez vous », « grève des loyers, autodéfense populaire », « du fric pour l'hôpital public »...). Au centre de rétention du Mesnil Amelot les prisonniers de 4 bâtiments ont refusé de réintégrer leurs cellules et ont occupé une des cours du CRA cette nuit. Et si on tend l'oreille dans on peut presque entendre quelques chants révolutionnaires derrière les applaudissements qui se sont généralisés à 20h... Amplifions leur écho !

On a aussi commencé à s'organiser ici et là... Nous vous écrivons depuis Montreuil en Seine Saint Denis. On essaie de s'y préserver du virus et de pas le faire circuler tout en slalomant entre les décrets et autres outils de contrôle social pour continuer nos actions de solidarité et d'auto‐ organisation. On a pas attendu le gouvernement pour comprendre l'utilité des masques ou pour lancer des ateliers de fabrication, d'abord chez les un.e.s et les autres, puis dans des lieux plus grands comme des habitations collectives ou des lieux alternatifs mais toujours en respectant des principes de fonctionnement permettant d'éviter les contaminations.

On a renforcé ou mis à jour notre connaissance des personnes et des réseaux locaux en participant à la construction d'une organisation autonome de solidarité (1 ) avec des habitant.e.s et des camarades issus de divers réseaux militants et tout cela est en train de prendre forme d'une façon que nous n'avions même pas envisagée jusqu'à maintenant ! On est quelques uns (et ce chiffre augmente chaque semaine) à rester actifs malgré le confinement et à poursuivre des actions au sein de la ville : participation aux brigades de solidarité populaire, récupération de nourriture en circuit local, distribution de repas aux sans‐abri, aux squats, aux foyers de migrants et aux personnes et familles en galère, réalisation d'affiches, écritures de textes, photos, vidéos, création d'un site de témoignages sur la période en cours...

Quel sera « l'après » ? Difficile de le prévoir mais nous savons que la situation actuelle risque de se prolonger, y compris sous d'autres formes encore plus brutales dans les semaines et les mois à venir. Le pouvoir redoute l'auto‐organisation populaire et en particulier le sentiment de familiarité et de solidarité qui est en train de se créer entre les fractions de la population qui se rencontrent aujourd'hui dans la lutte pour la survie quotidienne. Car cette proximité populaire est le terreau propice à l'éclosion de formes d'organisation sociale autonomes dans lesquelles le quotidien reprend toute sa dimension politique. Parallèlement, le sentiment de défiance et de colère vis‐à‐vis de l'État et de ses représentants ne fait que grandir. Il est basé sur des décennies d'abus et de mensonges et s'alimente de l'incurie de ceux qui détiennent actuellement le pouvoir (absence de planification, prise de décisions tardive, pénuries de matériel, déclarations contradictoires...). Ils semblent tout faire pour que nous les détestions ! Et dans cette détestation partagée comme dans les actions concrètes qui en découleront se trouvent les ferments d'un mouvement populaire autonome et subversif.

Il est un peu tôt pour dire quels seront les enseignements que nous tirerons de ces moments étranges mais nous sommes sûrs que se tissent aujourd'hui des liens qui nous uniront encore par la suite. Nous pensons que c'est à travers l'action concrète, la mise en commun des ressources et la création d'entités autonomes décentralisées mais très connectées entre‐elles que nous pourrons reprendre du pouvoir sur nos vies. Et ce qui se joue actuellement nous donne le sentiment que nos postures et nos démarches, jusqu'alors inscrites dans la marginalité ont toutes les raisons de se généraliser et de constituer les braises de « l'embrasement généralisé de la contestation sociale » (2) que redoutent actuellement les services de renseignements...

Il ne s'agit pas seulement de « résister » comme le scandent à tout va certaines portions de la gauche de gouvernement, il s'agit pour nous de construire sans attendre. Il ne s'agit plus de proposer, de demander ou de réagir à leurs décisions ! Il s'agit pour nous de prendre plusieurs longueurs d'avance en renforçant nos actions et en cherchant à faire émerger et à concrétiser la dimension politique qu'elles contiennent. Au delà de ces réseaux de solidarité, nous pouvons investir de nouveaux lieux à occuper, développer des plates‐formes de revendication et continuer à relier nos initiatives pour leur donner plus de force. Ici et là des appels à se rassembler massivement dès que le confinement sera levé émergent sur la toile, gageons qu'ils vont se multiplier dans les semaines à venir.

1. Brigade de solidarité populaire montreuilloise (https://paris‐luttes.info/pour‐une‐autodefense‐sanitaire‐ 13734)

2. https://www.leparisien.fr/faits‐divers/coronavirus‐les‐services‐de‐renseignements‐craignent‐l‐embrasement‐ apres‐le‐confinement‐11‐04‐2020‐8298150.php 

La cantine autogérée


La Cantine Autogérée est un collectif basé à Montreuil. Nous nous organisons habituellement avec d'autres collectifs pour récupérer de la nourriture invendue auprès de commerçants et de producteurs afin de les préparer et les servir à prix libre dans nos locaux.

Depuis le début du confinement imposé par le gouvernement nous avons du arrêter l'accueil des personnes extérieures. Nous préparons donc des repas à destination des personnes qui n'ont pas la possibilité de le faire elles-mêmes ou qui ont peu de ressources. Cette préparation se fait en suivant des procédures sanitaires très strictes. Masques et tenues propres. Nous désinfectons notre matériel et nos espaces de préparation et avons des procédures adaptées à la situation. Aucune envie de faire circuler ce virus !

Parce que la précarité, la misère sociale et les inégalités n'ont pas diminué en cette période et que les besoins se font même encore plus forts, nous restons actifs·ves auprès des plus démuni·e·s en essayant de faire ce que nous avons appris depuis notre création : préparer des repas à partir de la nourriture récupérée ou donnée par des particuliers. Nous participons aux Brigades de solidarité populaire qui se sont créées à Montreuil et dans plusieurs autres villes en France , Italie, Grèce et ailleurs.  Avec cette brigade composée d'habitants qui luttent ensemble nous pouvons mieux identifier les personnes qui auraient besoin de repas chauds et assurer leur livraison collectivement.

Nous voulons soutenir et créer des liens avec les personnes qui comme beaucoup d'entre nous, connaissent des difficultés pour assurer leurs ressources au quotidien du fait de leur situation initiale ou des choix sociaux et politiques qu'elles ont fait. Personnes isolées, familles, habitations collectives de précaires, squats, foyers de travailleurs·euses...

Notre idée est que cette solidarité entre habitants crée de nombreux liens entre des personnes et des groupes et contribue à nous rendre plus fort·e·s face aux inégalités et aux difficultés.

contact : chateigne@protonmail.com

- Témoignages des premiers jours des Brigades de Solidarité Populaire - 

Les débuts des Brigades de solidarité populaire à Montreuil Fontenay Bagnolet

Les premières pousses des brigades dans notre secteur ont vu la lumière du jour sous le ciel libéré de la pollution le 29 mars 2020. Les tout premier.e.s volontaires ont d'abord simplement répondu à un appel de la coordination des Brigades d'Île de France qui proposait sur leur page facebook de préparer ou distribuer des repas à des contacts préexistants pour faire face à l'urgence de la situation.

Pour ma part ça tombait pile au bon moment, car comme beaucoup, après avoir goûté à tout un tas d'états d'esprits différents pendant le confinement, je vivais en l'attente de passer à l'action. Toutes mes activités étant à l'arrêt, tout comme les mouvements en cours, je commençais à être fatigué d'entendre un « restez chez vous » ou «io resto a casa» (« je reste chez moi ») vidé de sens critique. Ça ne m'intéressait pas de continuer à faire les mêmes choses qu'auparavant à travers des écrans, en oubliant l'importance des sens et du réel, et je partageais plutôt avec mes ami.e.s les opportunités d'introspection et de remise en question de la vie que cette situation nous proposait. C'était évidemment important de prendre soin de ses proches et de protéger les personnes à risque, tout comme de garder le lien social de quelque façon. Mais il y avait quelque chose de morbide dans ce message. J'y voyais comme beaucoup d'autres, un restez chez vous et ne pensez que à vous, nous on continue à mépriser les soignants tout en les applaudissant, à réduire vos droits au travail, câliner les CAC 40, tabasser dans les quartier populaires, pendant que les travailleurs.uses en première ligne meurent.

Quelques jours avant l'apparition des premières Brigades en France j'avais vu passer dans les réseaux une vidéo qui présentait les actions des Brigate volontarie per l'émergenza de Milan et j'ai eu tout de suite envie d'en faire partie. Ce collectif prenait soin des personnes âgées et démunies des quartiers populaires de cette ville industrielle, où se trouvent les capitaux les plus importants du pays mais qui est en même temps le chef lieu de la région la plus touchée d'Italie par la crise sanitaire. Oubliées par les pouvoirs locaux, dans un contexte d'urgence accrue par le manque de places et de matériel dans les hôpitaux, ces personnes payaient les conséquences des décisions prises par une classe dominante cynique et corrompue. Chair à canon envoyée dans les usines sans protections au nom de la croissance à tout prix imposée au gouvernement par Confindustria (l'équivalent du Medef).

Tout ça résonnait avec la situation française avec un battement des quelques jours et quand j'ai pris connaissance des premières Brigades à Paris, (nées sous l'inspiration de l'expérience italienne) je n'ai pas attendu à leur écrire. Dans un texte très détaillé les brigades proposaient de préparer à manger et de le livrer des personnes dans le besoin du secteur, les foyers, les squats d'abord. Les strictes règles d'hygiène à respecter et le comportement à tenir auprès des bénéficiaires étaient dans les chartes. Le premier élan se concentrait donc sur les besoins vitaux et sur la nécessité de donner une réponse solidaire à la question de distanciation sociale, qui était posée plutôt en termes d'exclusion que de protection. En tenant à garder les liens politiques avec les foyers en lutte déjà existants, la coordination d'IDF a insisté sur l'importance de soigner le rapport avec les Gilets noirs du foyer ex Bara de rue Stalingrad à Montreuil. La coordination a été fortement présente en accompagnant les premiers pas du groupe sous tous les aspects, de la logistique à la communication. Une messagerie rapide nous a mis en lien et l'action était là enfin.

Une fois les premières livraisons effectuées sans trop réfléchir il a été évident d'appeler les camarades des luttes récentes (mais pas que, même les voisins et les collègues sensibles à ces questions) pour leur parler des Brigades et leur demander d'être de la partie. La plantule, nourrie par l'énergie vitale et la rage qui nous animent en ce moment, a multiplié ses rameaux au rythme du chant des oiseaux. Cela entre autre grâce a une profusion de discussions et textes touchants, et de tentatives créatives de faire entendre nos voix malgré les distances qui circulaient dans les réseaux. En saisissant l'élan initial de fin mars pour intégrer leurs actions déjà en cours auparavant et arrêtées provisoirement par les mesures de confinement, les camarades de la Parole errante, des Bons petits légumes, des militant.e.s proches de l'espace AERI, des gilets jaunes et d'autres âmes solidaires se sont fédérées autour de la question de l'autodéfense populaire avec une rapidité et une efficace impressionnantes et enthousiasmantes. Cette mutualisation des forces, qui a posteriori semble évidente, a été néanmoins très touchante et surprenante sur le moment.

La succession de gestes de soins a continué auprès des sdf, coupés davantage du reste de la société confinée et oubliés dans la vision de l'état d'urgence sanitaire des autorités (coupure des fontaines d'eau, harcèlement de la part des forces de l'ordre). Nous avons donc commencé à faire des tours de livraison autour de la Pte de Montreuil et en allant vers St Mandé, où vivent des familles de Roumains dans leurs camions. Et aussi à Croix de Chavaux, Place de la République, lieux habituels où dorment les sans abris. Harcelés par la police et repoussés du bois de Vincennes, ce n'est pas évident de les retrouver une deuxième fois. Au fil des jours nous avons élargi la liste des bénéficiaires et de leurs besoins spécifiques, tout en gardant les liens habituels dans les quartiers populaires de La Noue, les Morillons, Montreaux, La Boissière. Nous avons commencé à recevoir des dons de la part des familles de notre entourage et pas que, les dons arrivaient aussi des familles des quartiers pauvres qui ne pouvaient pas se déplacer jusqu'au centre ville.

Nous avons installé une permanence à l'espace AERI, à l'image des autres déjà existantes, et les dons en nourriture et en produit de première nécessité ont commencé à être stockés et puis livrés, pendant que la Parole errante installait la cantine et l'atelier masques et Les bon petits légumes organisaient les récupérations au marché de Rungis avec l'aide de la Parole pour la distribution.

J'ai le sentiment, sûrement partagé, que cette floraison de gestes doit survivre au virus et à cette période de confinement, quelle que soit sa durée, et nous donner l'impulsion pour une contre attaque d'envergure une fois possible de circuler librement et retourner dans la rue. D'ailleurs on a vu que certains secteurs en lutte n'ont pas attendu la fin de ce confinement pour descendre dans la rue et manifester leur colère (des soignants en France, des membres du collectif Bara, des camarades de Rome pour soutenir les prisonniers). La Macronie a réussi a fédérer une bonne partie de la population depuis novembre 2018 ; le décret retraites a accru le clivage. Maintenant « le Corona est le maître de la situation », comme m'a dit en rigolant un membre des Baras lors d'une des livraisons de repas, et il nous a permis de solidifier d'avantage nos alliances. La suite est prometteuse et nous sentons déjà l'odeur des prémices.

Retour sur expérience brigades de solidarité populaire à Montreuil/Bagnolet

Pendant que je passais les après-midi sur mon fauteuil, les yeux rivés sur l'écran de l'ordinateur, en train de parcourir les différents articles de presse sur la crise sanitaire, mon téléphone sonna.

Cette sonnerie m'a soudainement réveillée des songes où j'essayais de comprendre l'origine du méchant virus, de décortiquer le vrai du faux, et de pleurer sur le sort du pangolin. Les journalistes se posaient beaucoup de questions, d'autres « opinionistes », plus liés à des courants politiques extrêmes, donnaient des analyses intempestives, et parfois tellement riches de certitudes, qu'elles en devenaient séduisantes. Nous, les citoyens, avons été réduits à des spectateurs passifs face à un spectacle macabre de mort et de mensonges, n'ayant plus aucun sens.

Au téléphone c'était Marco, un copain de lutte, croisé quelques mois auparavant pendant l'organisation de l'anniversaire des Gilets Jaunes. Il m'a demandé si j'avais connaissance des Brigades de Solidarité Populaire en action à Milan, et si j'avais envie d'en faire part, là où on habite, à Montreuil. J'ai dit oui, sans perdre de temps à réfléchir. Cette possibilité d'agir était comme un éclair dans la brume des pensées confuses et frustrantes qui m'habitaient. Et bien sûr que dans les dizaines d'articles que j'avais parcourus ces derniers jours de quarantaine, il y en avait un qui les concernait.

Ce mot « brigades », qui résumait l'action milanaise en cours, faisait penser à l'histoire violente et récente de l'extrême gauche de mon pays ; cependant les mots « solidarité » et « populaire » tempéraient immédiatement l'accent agressif qu'on pouvait percevoir dans l'expression « brigades », sans pour autant mettre en ombre la volonté politique de cette action.

Le constat politique qui porte à l'action est le même pour beaucoup d'entre nous : sans réponse du peuple qui décide en autonomie de son autogestion, il est impossible d'envisager la sortie d'un modèle capitaliste ultra-libéral. Par ses dérives (le consumérisme, l'exploitation des ressources humaines et naturelles, la suppressions des droits des travailleurs et des financements publics pour la santé et l'éducation), ce système imparfait laisse de plus en plus des gens à côté. On se doit de retrouver le collectif, la solidarité, l'esprit d'être à plusieurs, pour une seule et même cause : faire mieux que ne fait le capital.

De la théorie, il fallait vite passer à la pratique, sans perdre de temps à discuter. En observant l'organisation des brigades déjà actives sur le vaste terrain de l'Île de France, nous nous sommes entendus sur la nécessité de trouver un lieu pour organiser la permanence. Notre idée était solliciter le plus possible la population locale en consacrant du temps et de l'espace à la récolte des dons. Les dons étaient aussi un excellent moyen pour rencontrer les gens, retrouver le lien dont nous avions été privés brutalement, et leur faire sentir qu'il était, tout en étant confinés, possible d'agir, pour faire mieux que ne fait le capital : venir en aide à ceux pour qui le confinement est synonyme de misère.

Je devrais plutôt dire Misère, car cette sombre dame qui, dans l'imaginaire populaire est liée à une Europe d'un autre siècle, est un personnage plus qu'actuel, plus que moderne. Elle mérite, pour son rôle, le « m » majuscule. La Misère joue dans l'équipe de l'organisation capitaliste en réduisant l'être humain à un rejet, à une aberration malodorante qui ne mérite plus l'égard, la compassion, la solidarité. Elle sert d'avertissement : toi qui n'es pas d'accord avec ce système, c'est comme ça que tu veux devenir ? Tu veux vraiment commencer à remettre en question ce qui a été décidé bien avant que tu ne viennes au monde ? La Misère, dans un pays riche comme la France, comme l'Italie, comme l'Angleterre, veut dire la faim, la solitude, l'exclusion et l'impossibilité de se sentir faisant partie du pays dans lequel on se trouve.

Il y a aussi une Misère plus discrète, plus institutionnelle, qui peut être appelée Pauvreté. La Pauvreté a autant de noms et de visages que les gens logés dans les quartiers populaires, bien présents dans les listes des services sociaux, comme les bénéficiaires des aides publiques. Ces personnes, ces précaires, ces prolétaires, forment une masse silencieuse et obéissante, entretenue par l'État dans une incertitude économique pérenne, obligée de passer son temps à justifier de sa condition pour recevoir quelques centaines d'euros.

Ces personnes participent peu, ou pas du tout aux manifestations, aux réunions politiques, aux collectifs qui se forment souvent à deux pas de chez eux. Ils pensent que cela ne le concerne pas, que c'est pas pour eux.

Encore pire, la jeune génération de cette population n'a pas la moindre idée de ce que les courants politiques signifient, leur attitude se résume à des phrases défaitistes du genre « on ne pourra rien changer », « de toute façon les politiques sont tous pareils », cédant vite à la menace policière des contrôles de routine. Ils pensent aussi qu'aller aux manifs n'a pas de sens, enfin ils aiment bien voir les gens se bagarrer sur les Champs sur les écrans de télés, les vidéos snapchat ou youtube, mais eux-mêmes ne descendent pas dans la rue. « Quand on nous frappe dans les cités personne vient nous aider, alors pourquoi devrions-nous aller en manif ? ».

C'est bien là qu'on remarque le triomphe du capitalisme : tel un parasite, il se nourrit de l'individualisme, il raffole de la fragmentation du peuple (les pauvres, les misérables, les précaires, les sans papiers, les sans domicile fixe, les noirs, les blancs, les bourgeois, la classe moyenne, la gauche, la droite...), il se réjouit de la distance entre les gens, les genres, les générations.

Si notre action a un sens, je pense qu'il devra être celui de l'union, de la fraternité et de la sororité, car le collectif est le seul moyen que nous avons pour défendre ce qu'il y a de beau dans notre société et ce qu'il y a de précieux sur notre terre. La brigade arrivera par son enthousiasme, par son activisme et sa justesse, à réanimer une conscience politique de masse critique, et ce sera la victoire qu'on aura arrachée au confinement.

Action marché gratuit du 1er mai 2020

Vidéo réalisée à la suite de notre marché sauvage



- Communiqué 1er mai 2020 -

La police dans les choux

Le 1er mai 2020, à midi, sur la place du marché de Croix de Chavaux a eu lieu une distribution gratuite de fruits et de légumes organisée par les Brigades de Solidarité Populaire de Montreuil. Pendant près d'1h30, nous avons distribué des paniers à plus d'une centaine de personnes dans une ambiance conviviale, et dans le respect des gestes barrière.

À 13h15, la police nationale (plusieurs escadrons de voltigeurs et plusieurs fourgons) est arrivée, nous a encerclés et nassés. La distribution a été interrompue. Les personnes venues chercher les fruits et les légumes ont elles aussi été nassées. Toutes les personnes présentes sur place ont été contrôlées, et la quasi-totalité verbalisée, sous prétexte de "manifestation revendicative".

Cette distibution a été organisée dans le cadre du 1er mai et dans la continuité des actions des Brigades. Elle est un geste politique d'autodéfense populaire, les banderoles précisaient cette position politique.

Là où l'État n'est présent que par sa police, nous nous organisons pour répondre à un besoin nécessaire et vital.
C'est cet élan solidaire et autogestionnaire qui a été réprimé aujourd'hui.

- Aquarelles premier mai -

- La permanence à l'Espace AERI -

(copyright : Noémie C)

- Entretien de bons petits légumes -

A. : Ce qui se passait, avant les Brigades, pour nous en ce qui concerne la récup, c'est qu'avec des copain-es de différentes colocs de Montreuil, à Croix de Chavaux, au-dessus de la Maison ouverte, à la Boissière, à la Porte de Montreuil, on est organisé-es au sein des Bons Petits Légumes. Ça existe depuis 3 ans. En gros, on a un camion, et toutes les semaines on va le jeudi ou le mercredi à Rungis, on charge le camion. Souvent on se retrouve avec les gens d'Ivry là-bas et on mélange nos deux camions comme ça on a des récups plus diversifiées et on s'épuise moins.

On repart, on dépose la moitié du chargement à la Cantine des Pyrénées, puis on vient se garer à Montreuil et là toutes les colocs qui participent viennent se servir tout le reste de la journée.

Il nous arrive aussi de faire des cantines de temps en temps, à la Maison ouverte. Ce qu'on a envie de faire maintenant c'est de faire une fois tous les trimestres des cantines avec différents lieux ou collectifs de Montreuil. La première qu'on a fait c'est avec Mécasolid , un garage/atelier associatif de mécanique solidaire qui nous aide de ouf assez régulièrement pour réparer le camion. On a cuisiné avec eux toute la journée, et le soir on a fait une cantine à prix libre, pour leur donner un peu de sous. L'idée qu'on a c'est de faire ça toute l'année, ça permet aussi de rencontrer en cuisinant plein de collectifs de Montreuil, et d'activer des réseaux de solidarité ponctuels.

Les gens de la Parole errante nous contactent aussi pour avoir les restes de la récup ou emprunter le camion... Plus généralement les gens, aussi en dehors de la Parole nous contactent de manière interpersonnelle et on leur file une partie de la récup pour l'orga d'évènements.

M. : Les récup à rungis n'ont pas commencé avec les bons petits légumes. Nous sur Montreuil-Paris, on peut au moins remonter jusqu'au squat du bourdon (à Bastille) et Villiers (Montreuil). Quand avec la crise de 2010 les récups sur le marché devenaient impossibles : de plus en plus de gens étaient en galère, on était en concurrence avec plus précaires et vulnérables que nous, des vieux, des mères célibataires se battaient à coup de poissons pour une pomme... Du coup, les squats ont commencé à envoyer des voitures ou des petits camions à rungis, mais il n'y avait pas vraiment de distributions, ça se partageait entre connaissances quand même. Par exemple, des gens des sorins (un squat de sans papiers, rue de sorins à Montreuil) passait à Villiers, qui leur en réservait une partie. Après, ça a été les gens du Transfo et des condos qui ont recommencé les récups à Rungis (après un moment de dormance). Comme yavait de bonnes quantités ils se sont mis à distribuer. En changeant d'endroit à chaque fois parce que là encore les gens étaient tellement en galère qu'il y avait des bagarres devant le Transfo, du coup ils envoyaient au dernier moment l'info par texto sur le lieu et l'heure de la distrib. C'était super utile, heureusement qu'il y avait ça mais ça se faisait dans une ambiance vraiment tendue... Ensuite le camion a brûlé, et la thune qui avait été récoltée lors d'un concert de soutien, pour un racheter un camion a été volée, donc tout ça s'est arrêté.

A. : Nous les Bons Petits légumes c'est moins la guerre mais c'est différent parce que c'est vrai que ça reste un peu un entre-soi de copain-es précaires, et on fait rien de public de cet ordre-là.

Sauf depuis le coronavirus !

Ce qui s'est passé c'est que pas mal de copain-es des Bons Petits légumes se sont confiné.es en dehors de Paris. Les récups se sont arrétées de fait au début du confinement, puis avec celles et ceux qui restaient, on s'est dit qu'on avait le camion et que c'était trop con que ça ne serve pas. Donc on s'est mis en contact avec M. qu'on connaît depuis les Gilets Jaunes, et dont on savait qu'elle s'organisait avec les Brigades, et on a essayé de voir comment relancer les récups.

M. : donc ça c'était l'historique des Bons petits légumes. Ce qui s'est passé ces dernières semaines c'est que, avant le confinement, des copains avaient commencé à créer des boucles Telegram à propos du Covid.

Et puis a été créé le site Covid-entraide, ça marche sur les plateformes Facebook et Telegram. C'est vite devenu un gros réseau national, c'est décentralisé mais c'est national, ya des gens qui font vraiment de la modération pour faire passer les infos de groupe en groupe. T'as des groupes thématiques et des groupes locaux, par exemple t'as un groupe pour la grève des loyers, etc. Donc moi c'est sur Covid Entraide que j'ai commencé à regarder. Ce réseau a été tout de suite beaucoup investi par des gens qui ne font pas du tout partie de notre réseau militant habituel. Ensuite, sur ce site et ces boucles Covid Entraide a été diffusé le 30 mars l'appel à former des Brigades de solidarité populaire (1), à la suite des camarades de Milan. Et la plupart des militants, en tout cas sur Montreuil, s'est organisée dans ces brigades. Tout en faisant l'aller retour avec le Facebook Covid Entraide.

J'ai l'impression que ce qui s'est passé en tout cas spécifiquement sur Montreuil, c'est que deux italien-nes des GJ, M. et E., ont été vachement touchés par ce truc des brigades populaires italiennes, et comme ils faisaient partie de notre réseau, qu'on se connaît bien depuis l'expérience GJ, bah on s'est organisé-es avec eux au sein des brigades ! C'est pareil avec l'expérience des masques : le discord pour fabriquer des masques a été créé via la liste des GJ !

Quand on a commencé à vouloir reprendre la récup avec les copain-es des petits légumes, j'ai envoyé un mail sur la liste GJ et sur la liste de la Parole errante, pour savoir qui avait besoin de bouffe, et personne a répondu, tout le monde culpabilisait, disait pouvoir tenir, en avoir moins besoin que d'autres. J'ai quand même constitué un listing, et au bout de deux semaines plus personne n'avait de fric et en avait besoin, ya pas de raison que tu sois à 400 balles par mois avant le coronavirus et que ça aille mieux deux semaines après !

Du coup la Parole errante nous a fait des attestations officielles pour qu'on puisse aller à Rungis et circuler, et puis MécaSolid a accepté de nous préter le parking, où on vide tout pour refaire des paniers diversifiés.

Parallèlement, au moment où on cherchait à résoudre ce problème d'attestations officielles, on a été contactés par un copain de copain, F., qui voulait emprunter le camion. Lui il est méga chaud, il va tous les jours à Rungis, parfois avec notre camion parfois avec un autre, et il fait des distributions au cul du camion dans les cités dans le haut Montreuil. Avec des live Facebook etc, à Rungis, sur la route du retour, pour donner rendez-vous à tel endroit, et les gens viennent, ça marche au prix libre aussi comme nous. Maintenant ce qu'il fait c'est qu'avec le prix libre de la veille il achète aussi en gros à Rungis, pour compléter la récup. Il a commencé parce qu'il voulait absolument du citron, connu pour ses vertus virucides. Il a négocié une palette entière de citrons, et maintenant il fait ça pour d'autres aliments généralement absents des récups. Nous aussi on pourrait commencer à faire ça, pour compléter parce qu'on a surtout de la verdure et ça suffit pas.

Bref la logique du roulement du camion c'est ça : lundi et mercredi c'est nous avec les Petits légumes, mardi et jeudi c'est F., et vendredi c'est les brigades.

Et nous quand yen a trop, vu que c'est le même jour que les jours de permanence des brigades, on leur laisse quand on en a trop. On en file aussi à la cantine de la Parole, qui prépare des repas que souvent après les brigades distribuent.

A. : Nous notre groupe c'est pas vraiment les brigades, parce qu'on a commencé en dehors de cette initiative, mais en vrai on est en lien et on s'inscrit complètement dans ce qu'ils font. On va voir, mais ce qui est en train de se dessiner c'est que eux s'occupent plutôt des squats et des foyers et nous on continuerait à distribuer aux particuliers, familles, personnes qui vivent seules. Et pour l'instant, la cantine de la Parole et les brigades font des maraudes pour distribuer des repas aux sans-abris, ça devrait rester comme ça.

M. : Ya les copines de la Maison des femmes aussi. C'est fermé, elles sont en télétravail mais elles ont réussi à rouvrir tous les mardis et jeudis pour faire des permanences et elles donnent aux femmes des récups qu'elles ont fait chez les commerçants du quartier. Elles connaissent aussi du monde qui travaille dans les mairies sur lesquelles elles ont fait pression pour qu'elles leur ouvrent les crèches et c'est comme ça qu'elles ont « réquisitionné » toutes les couches des crêches, qu'elles redistribuent aux femmes en galère. Elles m'en ont filé un petit stock que je refile aux Roms (petit à petit pour éviter que certain-es fassent des stocks sans se les partager).

R. qui fait partie des GJ et de la maison des femmes m'a ensuite parlé de six femmes à rajouter à ma liste de livraison. Et donc là, il est en train de se créer un truc : j'ai beaucoup de gens véhiculés qui veulent aider pour la récup de Rungis. Mais on est déjà assez nombreu-ses pour aller à Rungis, le but c'est pas de s'échanger les microbes. Donc ce qu'on va faire c'est que ces gens là vont livrer des femmes qui étaient aidées à la maison des femmes mais habitent en dehors de Montreuil, Stains, Blanc Mesnil. Une fois par semaine ils apporteront couches, bouffe de la récup de Janick et des brigades, etc.

Aujourd'hui via les brigades j'ai reçu une proposition d'un studio pour une femme victime de violences ou en galère, j'ai transféré à la Maison des femmes et ça y est ya une femme qui va être mise à l'abri comme ça.

Donc c'est trop cool, ya plein de trucs qui se tissent.

Franchement la cabane des Gilets jaunes l'année dernière c'était du pain béni, c'est le plus beau truc qui nous soit arrivé !

Ça brasse plein de gens. Je vois aucun des squats de totos anars, c'est vraiment autour des gilets jaunes que ça s'est fait.

Dans les liens qui se créent on peut te parler aussi d'un autre réseau qui existe au sein des Brigades. Natalia, qui s'occupe d'un des deux dépôts des brigades, dans le haut Montreuil (dans le bas Montreuil c'est l'AERI), fait partie du réseau interpro contre la réforme des retraites. C'est un réseau où il y a beaucoup de profs. En ce moment monte au sein des Brigades petit à petit la question du soutien scolaire, et du coup de détecter les enfants en galère via ce réseau de l'interpro.­

Plein de gens proposent de filer de la thune. Récemment R. a proposé aux brigades de mettre des boîtes dans les boulangeries dans son quartier. Mais un des problèmes c'est que le principe des brigades c'est que c'est de l'auto-organisation, pas de la charité, donc il faudrait se rencontrer. Alors comment faire quand on ne peut pas se rencontrer ? Donc l'idée de R. c'est que là d'accord on fonctionnerait avec ces boîtes sans se rencontrer, mais qu'à la fin du confinement on organiserait une semaine de fêtes de quartiers, chaque jour un quartier pour qu'on se rencontre en vrai et qu'on fête la fin du confinement!

A. : Ce serait tellement beau ! Et puis ptêt à la fin il pourrait aussi y avoir une espèce de procession qui réunirait tous les lieux, Parole, Aeri, Maison ouverte... Y'aurait tellement de monde qu'il faudrait faire ça dehors !

M. : En tout cas dès maintenant il faut qu'on se prépare à une belle fête histoire qu'on se voit tous et que ça reparte pas dans les limbes.

A. : De toute façon je suis assez convaincue que ça retombera pas dans les limbes.

Entre les Gilets jaunes qui continuent à faire des trucs même si c'est beaucoup moins actif que le début de l'année dernière, de fait ya des liens qui restent super forts ; toute la réactivité qu'il y a eu et les liens qui se font entre les brigades, la Parole, nous, toi, et toutes les personnes à qui on distribue des trucs.... C'est peut-être mon côté un peu bibou mais j'ai l'impression que ça va de fait créer quelque chose ! Tous ces groupes Telegram, ces réflexes d'autogestion, d'organisation ; toutes les personnes qui passent devant la permanence à l'Aeri et qui reviennent le lendemain pour aider

parce qu'elles ont vu l'affiche alors qu'elles sont pas du tout dans les groupes GJ ou brigades, ça va forcément perdurer d'une quelconque manière, même après la Fête des quartiers !

Mais il faut une fête !

.Entretien réalisé par une camarade de la Parole Errante.


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